19 févr. 2014

[Fr] Dégringoler de son piédestal pour une imposture ¤ [En] Getting knocked off their pedestal for a piece of trickery

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[Fr]

[En]

Charles Baudelaire.

Edgar Allan Poe.

Deux auteurs du XIXème siècle pour le moins renommés, particulièrement critiqués de leur vivant, difficilement dissociables l’un de l’autre puisque le premier a traduit une partie des écrits du second. Deux auteurs dont les thèmes, le style et l’univers me touchent. Un peu de romantisme exacerbé ne peut pas faire de mal.

J’avais l’intention d’écrire un post sur Baudelaire et de l’hommage que je voulais lui rendre avec la création d’une série de mots basée sur son poème des Tableaux Parisiens, A une passante.
Seulement voilà, ma deuxième passion – la traduction – a fait des siennes : je me suis retrouvée à traduire The Raven et son célèbre Nevermore” juste pour le fun (bah ouais, à chacun ses loisirs).

Si je connais le poème pour l’avoir étudié à la fac, je ne m’étais encore jamais penchée sur ses traductions.

Mais quelle idée ai-je eu là !

Plutôt que de rendre hommage à ce grand monsieur de la littérature française qu’est Charles Baudelaire, j’ai maintenant une furieuse envie de lui voler dans les plumes – de corbeau, évidemment –  doublée d’une envie irrésistible de réduire sa traduction d’Edgar Allan Poe en cendres pour avoir joué d’imposture !

Un peu présomptueux de ma part ? Possible, mais pas tant que ça.

Baudelaire – tout comme Mallarmé et Rollinat, d’ailleurs – est un auteur, non un traducteur.  Etre auteur n’empêche pas d’être traducteur, bien au contraire, savoir manier sa langue maternelle est un avantage considérable. Cependant, on ne peut pas affirmer faire de la traduction quand le texte traduit trahit l’identité littéraire du texte original !

Outre les métaphores et les allégories, le style particulier de Poe joue notamment de répétitions. Les répétitions donnent un rythme. Si elles existent, il y a une raison. Si elles existent dans le texte original, elles doivent apparaître dans la version traduite, quelle que soit la langue de traduction. Il serait complètement absurde pour un traducteur de s’amuser à supprimer toutes ces répétitions pour la seule et unique raison que la répétition n’est pas très française ou que cela alourdit le texte.
A cela, j’ai envie de répondre : « Mais on s’en contre-fout de ton avis, mon coco ! Ton job c’est de traduire, pas de « rendre le texte joli ! » »

Description du traducteur : retranscrire dans sa propre langue maternelle l’identité littéraire d’un auteur, transmettre l’essence même de son œuvre, ne pas se l’approprier et ne pas remanier l’œuvre à sa sauce, ne pas rendre joli et surtout, surtout, respecter l’œuvre et son auteur.

Que l’on nomme l’identité littéraire de la traduction de Poe par Baudelaire le style Poe-delaire n’est pas anodin : si le texte est de Poe, l’identité littéraire française de son œuvre reflète bien celle de Baudelaire.

Baudelaire n’a pas agi en traducteur, mais en auteur malhonnête et profiteur (cf Anne Garrait-Bourrier, « Poe/Baudelaire : de la traduction au portrait littéraire ? ») : il s’est approprié l’œuvre de Poe, l’a remaniée à sa sauce, l’a retranscrite en remplaçant l’identité littéraire de l’œuvre par la sienne. Certes, Baudelaire a contribué à faire connaître Poe hors Amérique. Certes, Baudelaire a contribué au succès de Poe en France. Toutefois, cette contribution s’est faite sans aucun respect de l’œuvre ou de l’auteur et avec une connaissance insuffisante de la langue anglaise.

En cela, ce n’est pas une traduction, c’est une imposture.

Un traducteur se doit de laisser sur le paillasson sa propre identité littéraire pour s’imprégner de celle de l’auteur et la retransmettre au plus juste dans sa langue maternelle.
Charles Baudelaire.

Edgar Allan Poe.

Two renowned writers – to say the least – of the XIXth century, particularly criticized in their lifetime, barely separable from one another since the former had translated part of the latter’s work. Two writers whose theme, writing style and universe move me. A touch of inflamed romanticism can’t hurt.

I intended to write a post on Baudelaire and the tribute I wanted to pay him with the creation of a series of words based on his Parisian Scenes’ poem, To a Woman Passing By.
Problem is, my second passion – translating – played me up: I found myself translating The Raven and his infamous Nevermore” just for the fun of it (to each their own hobbies, sue me).

Though I know the poem for having studied it at the uni, I had yet to even take a look at its translations.

And how foolish was I to do so!

Instead of paying a tribute to this great man of the French literature who is Charles Baudelaire, I had an overwhelming desire to make his feathers fly – raven’s feathers, of course – coupled with an irresistible desire to burn his translation of Edgar Allan Poe to a crisp for this piece of trickery!

A tad presumptuous of me? It might, but not quite.

Baudelaire – along with Mallarmé and Rollinat for that matter – is a writer, not a translator. Being a writer does not prevent themselves from being a translator. Quite the opposite actually, having a good command of their own mother tongue is quite the perk. Nevertheless, one cannot claim to be a translator when the translated text betrays the literary identity of the original text!

Metaphors and allegories asides, Poe’s peculiar writing style plays especially with repetitions. Repetitions give a rhythm. If they exist, there is a reason. If they exist in the original text, they have to be in the translated text, whichever the language of translation. It would be completely preposterous of a translator to delete all those repetitions for the one and only reason that repetition is not really French or that it makes the text cumbersome.
To this, I would like to reply: “No one gives a rat’s ass about your opinion, darling! Your job is to translate, not “to make the text look pretty!””

Job description of a translator: to transcribe into their own mother tongue the literary identity of the writer, to convey the very essence of their work, to refrain from adopting the work for themselves and from arranging it to their liking, to refrain from making it pretty, and first and above all, to respect the work and its writer.

Far from being meaningless, the literary identity of Baudelaire’s translation of Poe is called the Poe-delaire writing style: if the text is Poe’s, the French literary identity of his work actually is Baudelaire’s.

Baudelaire didn’t act as a translator but as a dishonest and greedy writer (cf Anne Garrait-Bourrier, “Poe/Baudelaire: from translation to literary portrayal?”): he did adopt Poe’s work for himself, arrange it to his liking, transcribe it by replacing the work literary identity into his own. Of course, Baudelaire contributed to Poe’s renown outside of America. Of course, Baudelaire contributed to Poe’s success in France. However, this contribution was made without the slightest respect for the work or the writer and with a poor command of the English language.

In that, it is no translation, it is a piece of trickery.

A translator has to leave their own literary identity at the door to impregnate themselves with the writer’s and convey it as accurately as possible into their mother tongue.